Critique de Concert: Space Time Continuo, 19 février 2019

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Benjamin Goron

Les concerts de La Nef ont le don de nous rencontrer là où on ne les attend pas. Que ce soit dans le choix du répertoire, l’attention portée à l’aspect scénique ou l’interaction entre les musiciens, le voyage est toujours nouveau. Ce qui reste intouché ? L’audace, la prise de risque et la bonne humeur. Mardi dernier, Space Time Continuo nous présentait un répertoire entièrement baroque sous la direction musicale d’Amanda Keesmaat et de Dorothéa Ventura, concentré sur les registres graves en mettant en lumière un large éventail d’instruments d’époque.

Sur scène, les musiciens forment un hémicycle au centre duquel trônent majestueusement l’orgue et le clavecin, invitation à rejoindre l’ensemble dans un salon intime, ce que confirme la première pièce où ils s’adonnent à une improvisation qui neutralise la barrière entre public et interprètes. Nous entrons dans leur jeu. Ce n’est qu’après quelques pièces que le concert naît, que les musiciens deviennent consorts pour nous laisser entendre des conversations harmonieuses, des dialogues et échanges sentis, révélant l’écriture de Charpentier, Corette ou Rameau parsemée d’improvisations.

Il peut sembler paradoxal d’accorder autant d’importance à l’improvisation avec des instruments au registre grave, généralement moins armés pour cet exercice. Pourtant, les six musiciens s’en sortent haut la main. Les lignes de basson de Karim Nasr sont claires, chantantes et très musicales. Que ce soit au violoncelle baroque ou à la basse de violon, Amanda Keesmaat insuffle au répertoire une vie et une authenticité admirables, magnifiées par sa grande maîtrise de l’instrument. Certes, les musiciens n’ont pas tous la même facilité à improviser, le même langage ou encore les mêmes modes, ce qui crée par moments anachronismes et dissonances, mais tous se prêtent à ce jeu avec sincérité et prise de risque, et le résultat est tout à fait appréciable. Pierre-Yves Martel fait corps avec sa viole de gambe, passant aisément des inflexions baroques à un jeu rythmique plus proche de nous, tandis que Dorothéa Ventura apporte des textures enveloppantes à l’orgue et une belle continuité musicale au clavecin, qu’elle rompt avec des passages soigneusement improvisés. Avec les minutes, cette conversation à six s’anime et vibre d’un seul élan dans les dernières pièces, laissant la nef musicale filer comme une comète à travers le continuo espace-temps.

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